A première vue, l'information a de quoi
surprendre. Mais elle émane du très sérieux Observatoire italien, « La
lettre confidentielle de l'Adriatique et de la Baltique ». Autant dire
une source sûre, car ce genre de publication économique -dont
l'abonnement ou le prix à l'article est conséquent- est avant tout
destiné aux experts et aux investisseurs. Les informations qui y sont
publiées relèvent en effet de « l'intelligence économique » et, à ce
titre, sont passées au crible de la vérification avant d'être diffusées.
De quoi s'agit-il donc ? D'après un article publié le 31 juillet
dernier par l'Observatoire italien, l’Algérie commencerait à livrer du
gaz à Israël à compter du 1er août. Bien sûr, pas directement, mais via
l’Égypte dont les gazoducs d'Al-Arish, dans le nord-Sinaï, alimentent
Israël. Le contrat prévoit l’importation par l’Égypte d'environ 500
millions de m3 de gaz algérien par jour, grâce à un financement des
Émirats Arabes Unis.
D'ailleurs, après la visite éclair du maréchal Al-Sissi à Alger, le
25 juin dernier, des fuites concernant ce contrat gazier à des prix
préférentiels -la moitié du prix du marché- avaient commencé à circuler.
Auparavant, début mai, une source haut placée au ministère égyptien de
l’Energie avait indiqué que l’Algérie avait accepté d’envoyer en urgence six livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) à
l’Égypte, et qu’un accord entre l'Egyptian Natural Gas Holding Company
sera signé avec le groupe public algérien Sonatrach. L’Égypte, dont les
relations avec le Qatar sont au plus bas, doit importer 400 millions de
mètres cubes de gaz naturel par jour pour faire fonctionner ses
centrales électriques durant la délicate période estivale. Le surplus de
gaz algérien serait donc livré à Israël, selon différentes sources
rapportées par le journal égyptien Al-Osbou' et le quotidien algérien
Al-Chorouk.
Mais pour comprendre la nature réelle de ce contrat, il est
nécessaire de se plonger dans les réseaux de corruption qui ont la main
mise sur les contrats gaziers entre l’Égypte et Israël. La convention de
livraison de gaz à Israël par l’Égypte remonte à 2005, et avait été
suspendue par le président Mohamed Morsi, peu après son élection, dans
le cadre d'un programme de lutte contre la corruption. Ce contrat,
unique en son genre, portait sur la livraison de 1,7 milliards de m3 de
gaz naturel pendant 20 ans. Et à un prix défiant toute concurrence ! A
savoir entre 70 cents et 1,5 dollars par millions de BTU (l'unité
anglaise de mesure de la quantité de l'élévation de la température de un
degré Fahrenheit à pression atmosphérique constante) ; et pour un prix
de revient pour la compagnie israélienne de 2,5 dollars exemptés
d'impôts de la part de l’Égypte. C'est le contrat de corruption le plus
important d’Égypte, le prix le plus bas du marché tournant autour de 8 à
10 dollars le million de BTU ! Avec un manque à gagner pour l'Egypte
estimé entre 500 million et 1,8 milliards de dollars, selon des experts
internationnaux.
Il existait d'ailleurs un précédent à ce type de contrat. En 2000, la
société israélienne Egyptian Mediterranean Gas (EMG) avait été créée
spécialement, par Hussein Salem et Yossi Maiman, le magnat israélien de
l'énergie. Tous deux sont des ex-agents secrets de leurs pays
respectifs ! Ce contrat, d'une durée de 25 ans, avait été signé sous la
supervision de Sameh Fahmi, ministre égyptien du pétrole entre 1999 et
2011. Arrêté pour son rôle dans l’affaire peu de temps après le
soulèvement de janvier 2011, l'ex-ministre a été condamné à 15 ans de
prison en juin 2012 tandis que son comparse égyptien, Hussein Salem, l'a
été à la même peine mais par contumace, et n'a jamais été extradé. Ils
ont été laissés en liberté et leur procès est actuellement en révision.
Après le coup d’État du maréchal Al-Sissi, en juillet 2013, et son
élection à la présidence de la république un an après, il semblerait
donc que les autorités égyptiennes aient décidé de reprendre les
livraisons de gaz naturel en direction d'Israël. Mais elles se sont
retrouvées confrontée à un problème de taille : la production de gaz
égyptien insuffisante, doublé de l'arrêt des livraisons du Qatar pour
cause de cessation de paiement, a plongé l’Égypte dans la pénurie
énergétique. Résultat : de graves difficultés à approvisionner son
marché interne. Depuis 2011, les égyptiens sont en effet quotidiennement
plongés dans le noir. Et cette année, les entreprises de production se
voient même dans l'obligation de stopper une fois par jour leurs
machines durant cinq heures. C'est dire l'urgence !
Autre difficulté de taille : des plaintes ont été déposées contre
l’Égypte devant la Banque Mondiale et des tribunaux internationaux pour
rupture de contrat. EMG, réclame 8 milliards de dollars et le géant
espagnol de l'énergie, Union Fenosa, demande 6 milliards de dollars.
Par-dessus le marché, l’Égypte s’est déjà endettée à hauteur de 6
milliards pour le gaz qu’elle a acheté à des compagnies pour son usage
intérieur. Au total, la dette et les engagements de l’Égypte pourraient
se monter à 20 milliards de dollars. Ce qui pourrait potentiellement
entraîner la banqueroute de l’Égypte, selon l’analyste des énergies Mika
Minio-Paluello.
Bref, une sérieuse épée de Damoclès qui explique pourquoi l’Égypte
cherche aujourd'hui à se tirer de ce « mauvais pas » en tentant de
poursuivre ses livraisons. Précisons qu'à l'époque de sa signature, ce
contrat avait été supervisé par les USA qui le considèrent comme une
garantie de l’arrimage de l’Égypte à Israël. Interviewé par Al-Jazeera,
Edward Walker, l’ex-ambassadeur étasunien en Égypte, expliquait :
« C’est le genre d’accord qui aidait à cimenter le traité [de paix]
israélo-égyptien et c’est pourquoi nous avons toujours été très positifs
à son sujet sans entrer dans le côté corruption de la chose ». Et
d'ajouter, concernant justement l'aspect corruption du contrat : « Cela
se ramène toujours à ceci : est-ce que ça suffit au bénéficiaire pour
arroser tout le monde ? Et je pense que la réponse est oui, et c’est
pour cela que tout a commencé et qu’on a pu surmonter les
problèmes politiques ». En clair, cela signifie que ce sont les réseaux
de corruption présent aux sein des États - appelés « l’État profond »-
qui déterminent l'orientation politique et économique des ces derniers.
En l’occurrence, la nature de leurs relations avec Israël. Il ne faut
donc pas s'étonner du manque de fermeté de la plupart des pays arabes
concernant l'agression israélienne de Gaza !
Dès lors, même si l'Algérie officielle se défend de livrer du gaz à
Israël, il n'est pas exclu que des « hommes de l'ombre » activent pour
une normalisation des relations économiques entre les deux pays, à
défaut d'une normalisation diplomatique au grand jour. Avec, évidemment,
la bénédiction du nouvel allié régional, à savoir les États-Unis !
Par Rabha Attaf
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