dimanche 24 mai 2015

De quoi Satan est-il le nom ? par Lotfi Hadjiat


Traditionnellement, Satan est le nom de celui qui chuchote aux oreilles des hommes et des femmes qu’il est l’ami de l’humanité. Chuchotant cela sans relâche, de toute son âme, de tout son cœur noir. Il se présente comme le bien, le bien de l’homme. Il n’a de cesse de nous convaincre de ses bonnes intentions, et ses arguments sont redoutables. Et font mouche le plus souvent. « Paix », « amitié », « ensemble », « avenir », « liberté », « amour », « plaisir », « profiter de la vie », « capitaliser », « profitabilité », « richesse », « bonheur »… il n’a que ces mots à la bouche. Il nous demanderait de signer un pacte reprenant ces termes qu’on signerait aussitôt, d’ailleurs la plupart ont déjà signé.
Il faut bien le dire, Satan a du génie, le génie de se faire passer pour Dieu aux yeux des humains. Et il y arrive le plus souvent ; ses artifices sont extrêmement subtils. Seuls les cœurs purs peuvent discerner le simulacre satanique de Dieu, de Dieu lui-même. Et plus Satan approche de sa fin, plus il s’ingénie à paraître Dieu auprès de l’humanité. Tel est le génie du mal, l’artiste du mensonge. Le triomphe manifeste de ce génie qui fait passer le mal pour le bien auprès des hommes lui a cependant un goût amer car il sait sa fin proche. Comme tout simulacre, Satan est périssable, sa lumière (dont il est si fier) n’était avant sa chute qu’une image subtile de la lumière divine, image corrompue de lumière déclinante depuis sa chute.
Ne pouvant tuer le Père divin, ce génie du mal mène à la mort les créatures du Père, étant lui-même une créature du Père. Avant sa chute, Satan était le génie du bien. Un génie qui tomba en amour de sa propre image à l’occasion de la création de l’homme, qu’il tient pour responsable de sa chute, et pour lequel il nourrit une vengeance inextinguible. Satan découvrit l’amour-propre et y succomba lorsque Dieu lui demanda de se prosterner devant le premier homme, créé d’argile. Blessé dans son amour-propre, Satan, créé d’un feu subtil, refusa de s’incliner. L’amour-propre n’est que l’amour d’une image, cet amour n’étant qu’une image de l’amour, image périssable, condamnée par Dieu. Satan est le nom de ce périssable amour du périssable… jusqu’à la perversion… Il n’y a d’amour que l’amour de l’être, et il n’y a d’être que divin. Satan sait cela mais pour nous perdre il nous persuade qu’il n’y a d’être que humain. Son génie et de nous persuader que non seulement Dieu n’est pas, mais que lui-même, Satan, n’est pas non plus, à fin de mieux nous asservir à lui. Pour être plus précis, il est parvenu à nous convaincre qu’il n’y a pas d’être.
Fin XVIIIème siècle, Kant était déjà convaincu que l’être est inconnaissable (« noumène »), que l’on n’en peut connaître que ses manifestations sensibles (« phénomène »). Hegel vint ensuite soutenir que le néant est l’autre visage de l’être pur, car tout deux disait-il sont indéterminables. Puis Nietzsche, moins d’un siècle plus tard, déclara que l’être immuable n’est qu’une vue de l’esprit et qu’il n’y a au fond que chaos avide de puissance. Après le sursaut ontologique heideggerien (où l’être est envisagé dans l’horizon du temps), Sartre affirma que le néant précède l’être, en tous cas chez l’homme. Suivit enfin d’Alain Badiou qui aujourd’hui considère carrément que l’être c’est du vide structuré, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’être, pour parler clairement. Qu’il n’y ait que du vide dans lequel se déploie désespérément la liberté de l’homme et ses désirs jusqu’à sa mort, voilà ce dont Satan a réussi à nous convaincre, la loi du désir (si chère au mouvement psychanalytique) n’étant rien d’autre que la destruction de la loi, de la loi morale, la destruction de l’homme in fine.
La vérité est que Satan est maudit, sans espoir aucun d’être sauvé, il le sait, et, n’ayant plus rien à perdre, va jusqu’au bout de sa malédiction, de sa rébellion contre Dieu, en cherchant à convaincre l’humanité entière qu’il n’y a pas de salut possible pour elle non plus. Perdre l’humanité est pour lui la seule consolation de sa perdition sans issue, la seule consolation de sa blessure d’amour-propre inguérissable. Chez Satan, il n’y a pas névrose, ni inconscient, ni refoulé, ni forclusion. Satan ne refoule pas Dieu ; face à la toute-puissance divine, il se sait impuissant à conjurer sa malédiction. Il n’a même pas le fantasme de supplanter Dieu. Il s’agit plutôt d’une aliénation totale à l’amour de lui-même, d’une aliénation narcissique, dans laquelle il fait tomber l’homme. L’amour de soi est le fruit défendu, le piège, le cercle vicieux contre lequel Dieu nous a mis en garde, et dont Lui seul peut nous sauver ; certains sortent de ce piège en cherchant l’union mystique (l’ivresse dionysiaque des sens, par l’art entre autres, n’est finalement qu’un simulacre sensible de l’union mystique, quoiqu’en dise Nietzsche, qui lui-même succomba à un narcissisme mégalomaniaque à la fin de sa vie). Le paroxysme du narcissisme est atteint aujourd’hui par la recherche de « l’extase médiatique » !…, très lointain simulacre de l’extase dionysiaque, du dionysiaque dans le théâtre tragique antique. Aux dieux et demi-dieux mis en scène dans la tragédie antique, se sont substituées les célébrités médiatiques fugaces d’aujourd’hui ! Que l’on puisse actuellement désirer ardemment « l’extase médiatique » en lieu et place de l’union mystique, voilà l’œuvre infiniment perverse de Satan. Et tout le monde aujourd’hui veut connaître « l’extase médiatique » ! Et ne plus la quitter ! La seule chose qui ne soit pas illusoire chez l’homme c’est sa tragédie, qu’il ignore le plus souvent.
Tous les vices ne sont que la conséquence de l’amour de soi, orgueil, haine, jalousie… Dieu ne peut être jaloux puisqu’il est infiniment juste, le dieu jaloux et colérique du judaïsme figure à l’évidence une influence satanique, figure qui détermine l’identité juive et qui la rend si délétère. Comment expliquer le nombre grandissant de pervers narcissiques aujourd’hui sinon par l’influence de Satan ; comme lui, ils cherchent des proies pour les détruire, les ruiner en ayant recours aux mêmes armes que lui, la séduction, la manipulation et le mensonge. Le plus souvent les pervers narcissiques sont incurables. Et il y en a de plus en plus dans les sociétés occidentales, une véritable épidémie, bientôt ce sera la norme !

Source:  http://www.lelibrepenseur.org/

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