jeudi 10 juillet 2014

Riyad vs Doha



Exaspérées par l'activisme politique du Qatar, les pétromonarchies de la région, Arabie saoudite en tête, multiplient les mesures de représailles contre le petit émirat gazier.

Le Goliath saoudien tiendrait-il sa revanche sur l'effronté David qatari ? Dans un mouvement de colère sans précédent, le royaume wahhabite et ses alliés de Bahreïn et des Émirats arabes unis ont rappelé, le 5 mars, leurs ambassadeurs à Doha, provoquant une crise majeure au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui réunit depuis 1981 les six pétromonarchies de la péninsule. Motif : le Qatar enfreindrait le pacte secret que son émir, Tamim, aurait signé le 23 novembre 2013 à Riyad devant les souverains du Koweït et d'Arabie saoudite. Le petit mais fort influent émirat gazier s'y engageait à ne pas s'ingérer dans les affaires des États membres du CCG et à ne soutenir aucun mouvement pouvant menacer leur sécurité et leur stabilité. Réponse du berger à la bergère : les représailles de ces "pays frères" sont "contraires aux intérêts, à la sécurité et à la stabilité des peuples du Golfe et liés à des différends extérieurs aux pays du CCG". Et Doha de faire savoir que son indépendance n'était pas négociable et qu'il n'envisageait aucunement de réorienter sa politique extérieure.

La réconciliation ne peut se faire qu'au prix de l'expulsion des Frères

Principale cible du pacte de novembre, les Frères musulmans, honnis et prohibés à Riyad comme à Abou Dhabi, mais bien en cour depuis des décennies à Doha, où ils ont établi leur quartier général et disposent d'un porte-voix redoutablement efficace, la chaîne panarabe Al-Jazira. Pour les Saoudiens, la réconciliation ne pourra se faire qu'au prix de l'expulsion des Frères et de la fermeture du groupe médiatique et des branches locales de la Brookings Institution et de la Rand Corporation, deux think tanks dont certains chercheurs sont accusés de complaisance envers la confrérie islamiste. Avec l'asile accordé aux Frères, des sources diplomatiques ajoutent que Riyad reproche aux Qataris de soutenir les rebelles chiites houthis du nord du Yémen et la Jabhat al-Nosra, groupe jihadiste syrien adoubé par Al-Qaïda. Le 7 mars, la décision du ministre saoudien de l'Intérieur de classer comme organisations terroristes la confrérie des Frères musulmans, la Jabhat al-Nosra et le mouvement houthi a semblé confirmer ces affirmations. Après avoir rappelé leurs ambassadeurs, les trois États ligués menacent maintenant d'asphyxier le Qatar en bloquant ses frontières, en lui interdisant le survol de leur espace aérien et en l'expulsant du CCG et de la Ligue arabe
Dans le Golfe, les rumeurs qui font surface trahissent une dangereuse escalade. À Doha, certains voient désormais la main terroriste de l'État saoudien derrière l'explosion, alors présentée comme le résultat d'un accident sur un réservoir de gaz, qui a fait au moins douze morts dans la capitale qatarie le 27 février. En Arabie saoudite, des diplomates ont confirmé au rédacteur en chef du quotidien égyptien Al-Chourouk l'existence d'éléments prouvant que les services qataris avaient comploté en 2003 avec feu Mouammar Kadhafi pour assassiner le roi Abdallah, alors prince héritier. Et l'on se souvient, fort à propos, des enregistrements datant de 2008, diffusés en 2011 par l'agence iranienne Irib, d'une conversation au cours de laquelle Hamad Ibn Jassem, alors puissant Premier ministre du Qatar, confiait au même Kadhafi que le "régime d'Arabie saoudite [allait] s'effondrer" et qu'il "[tomberait] inévitablement entre les mains du Qatar, qui [s'emparerait] des provinces de Qatif et de Charqiya, et [morcellerait] l'Arabie saoudite".

Profiter de la faiblesse des camps pro-Frères pour prendre le leadership arabe

Les gouvernants qataris ont-ils cru ce moment venu avec l'éclosion du Printemps arabe en 2011 et l'arrivée au pouvoir, l'année suivante, de leurs protégés islamistes à Tunis, au Caire et à Rabat ? Hélas pour Doha, la roue de la fortune a vite tourné. Et, alors que l'on pensait la gérontocratie saoudienne sonnée par les coups de semonce des révolutions, sa contre-offensive a été percutante. Après avoir appuyé, en Égypte,le coup d'État du 3 juillet 2013 dirigé par le général Sissi contre le président Morsi, champion frériste de Doha, le royaume wahhabite est parvenu en Syrie à supplanter le petit émirat comme grand parrain de l'insurrection. Cette dernière crise diplomatique pourrait porter le coup de grâce aux trop grandes ambitions du Qatar et replacer le trublion sous la suzeraineté saoudienne.
Pour Stéphane Lacroix, spécialiste de la politique au Moyen-Orient, "les Saoudiens ont bien perçu que les camps prorévolution et pro-Frères étaient en position de faiblesse et qu'ils peuvent profiter de cette occasion pour prendre le leadership arabe et assurer leurs arrières face à Téhéran, à l'heure où les Américains se rapprochent des Iraniens à leur détriment". Car la République islamique reste un élément crucial de l'équation diplomatique qui s'écrit en ce moment dans le Golfe, et la visite, fin février, du ministre qatari des Affaires étrangères à Téhéran et sa proposition d'inclure cette capitale dans la recherche d'une solution politique en Syrie pourrait bien avoir déclenché le coup de colère saoudien. Les grands d'Arabie parviendront-ils à clouer définitivement le bec du vilain petit Qatar ?


Source: Jeune Afrique

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