vendredi 18 décembre 2015

Russie, Israël et Syrie

Par Sharif Nashashibi (revue de presse / opinion : Middle East Eye – 11/12/15)*
« L’axe de la résistance » devient de plus en plus tributaire de la Russie, un pays dont les relations avec Israël ne cessent de se renforcer.

Tout au long du conflit syrien, le régime et ses partisans ont tenté de présenter l’opposition à la révolution comme synonyme d’opposition à Israël. Les objectifs de cette campagne de propagande consistent à s’attirer un soutien, à saper l’insurrection et à contrecarrer la répulsion généralisée dans la région face à la brutalité du régime syrien et au soutien militaire direct qu’il reçoit de ses alliés étrangers, principalement de l’Iran, de la Russie et du Hezbollah libanais.
Ces efforts ont subi un revers lorsque le Hamas, la composante palestinienne de « l’axe de la résistance », qui comprend le Hezbollah, Damas et Téhéran, a publiquement approuvé la révolution, saluant « le peuple héroïque de Syrie qui lutte pour la liberté, la démocratie et la réforme ».
Le soutien de la Russie au président syrien Bachar al-Assad a affaibli davantage les références anti-israéliennes de son camp. L’implication militaire directe de Moscou en Syrie, via la mise en place de bases, l’envoi de troupes et les frappes aériennes, aurait sauvé un régime qui, cet été, semblait proche de l’effondrement. Au départ, celle-ci a été dépeinte par les partisans de Bachar al Assad et les israéliens comme une menace potentielle pour les ambitions et la marge de manœuvre d’Israël en Syrie.
Toutefois, la participation directe de la Russie a permis de mettre en évidence ses liens de plus en plus étroits avec Israël. Cette solide relation est minimisée par Israël afin de ne pas contrarier les États-Unis, par la Russie pour ne pas aliéner Damas et Téhéran, et complètement ignorée par « l’axe de la résistance », sans le Hamas maintenant, de manière à éviter tout embarras.
Cette alliance prétend défendre la cause palestinienne, alors que le régime de Bachar al Assad affame et bombarde les réfugiés palestiniens de Yarmouk. Or Moscou, allié clé de l’alliance, est également un allié clé du pays même auquel l’axe est censé résister, bien que ce rôle de résistance ait longtemps été réduit à de simples paroles en l’air puisque l’alliance tue activement des syriens à la place.
Alors qu’Israël massacrait des civils palestiniens dans la bande de Gaza l’année dernière, le président russe Vladimir Poutine déclarait que « je soutiens la lutte d’Israël, car il tente de protéger ses citoyens ». Quelques mois plus tôt, Israël, comme l’Iran, le Liban et la Syrie, avait refusé de condamner l’annexion de la Crimée par la Russie.
Au moment où la solidarité avec Gaza contre l’attaque d’Israël s’exprimait au niveau régional et international, Bachar al Assad a mis un coup au Hamas, qui gouverne le territoire, en parlant « d’amateurs qui portent le masque de la résistance en fonction de leurs intérêts pour améliorer leur image ou consacrer leur autorité ».
Cela de la part de quelqu’un qui, comme l’Iran, n’a jamais résisté directement à Israël, même contre l’occupation du territoire syrien et les violations répétées de la souveraineté syrienne. Il semble qu’on puisse sacrifier plus facilement des vies palestiniennes et libanaises au nom de la résistance.
Sauver Bachar al Assad n’est « pas nécessairement » mauvais pour Israël
Moscou a prévenu Israël avant de lancer sa campagne aérienne en Syrie, Mercredi 30 Septembre 2015.
Quelques jours avant, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a rencontré Vladimir Poutine en Russie.
Benjamin Netanyahou n’était pas accompagné par la presse, mais avait emmené ses principaux généraux qui, comme l’a fait remarquer le journal israélien Jerusalem Post, « accompagnent très rarement le premier ministre lors de ses voyages à l’étranger ».
Cela a fait naître des spéculations sur l’étendue de la collusion bilatérale concernant la campagne aérienne, que Benjamin Netanyahou n’a pas critiquée. En octobre 2015, un de ses confidents a confié à Reuters « qu’un partenariat russe avec l’Iran et le Hezbollah pour sauver Bachar al Assad n’est pas nécessairement mauvais pour nous ».
Immédiatement après sa rencontre avec Vladimir Poutine, Benjamin Netanyahou a déclaré que Moscou lui avait donné l’assurance qu’il ne ferait pas obstacle à des frappes israéliennes sur les transferts d’armes syriens au Hezbollah, ce que Vladimir Poutine n’a pas nié.
En effet, bien que la Russie déploie ses systèmes les plus avancés de défense aérienne dans le conflit syrien, Israël a effectué la semaine dernière plusieurs raids au nord de Damas sans entrave et aurait ciblé un convoi du régime composé de quatre camions chargés de missiles balistiques. Tant pis pour l’espoir des partisans de Bachar al Assad de voir Moscou couper les ailes d’Israël en Syrie.
Le ministre israélien de la défense, Moshe Yaalon, a résumé la situation entre son pays et la Russie vis-à-vis de la Syrie de la manière suivante, « nous ne les dérangeons pas et ils ne nous dérangent pas non plus ».
Cependant, cela va beaucoup plus loin que de simplement rester en hors du chemin de l’autre.
Amos Gilad, directeur de la division politique et sécurité du ministère de la défense israélien, a souligné le mois dernier « l’excellente coordination concernant la sécurité qui a commencé juste après la rencontre entre Benjamin Netanyahou et Vladimir Poutine », qui a eu lieu quelques jours avant le lancement de la campagne de l’air russe.
Une ligne directe a été mise en place et des exercices aériens communs ont été menés. Après de nouvelles discussions avec Vladimir Poutine à la fin du mois de novembre 2015, Benjamin Netanyahou a annoncé une coordination militaire accrue concernant les frappes aériennes en Syrie.
Triangle avec la Turquie
Moscou et Israël ont cherché à faire de ce dernier un bénéficiaire de la dispute concernant l’avion de chasse russe abattu par la Turquie. Vladimir Poutine a cité Israël comme une alternative aux importations turques et Israël a exprimé sa volonté de combler le vide. Il investit également deux millions quatre cent mille euros supplémentaires dans une campagne visant à attirer les touristes russes suite aux restrictions sur les voyages en Turquie et en Égypte, pays qui représentaient à eux deux un tiers de l’ensemble des touristes russes l’année dernière.
Dans une démonstration publique et évidente d’opportunisme politique suite à la destruction de l’avion militaire par la Turquie, les responsables israéliens ont expliqué que des avions de chasse russes pénètrent parfois dans l’espace aérien israélien mais que de tels incidents sont résolus en communiquant.
Israël entretient des relations étroites avec la Russie de Vladimir Poutine. C’est le premier pays qu’il a visité après sa réélection en 2012, et comme le souligne le correspondant d’Haaretz Anshel Pfeffer, « tout au long de sa présidence, il a fait en sorte de rencontrer les dirigeants israéliens chaque année ». Depuis 2014, la Russie est le plus grand fournisseur en pétrole brut d’Israël.
Cependant, les graines de ces liens étroits ont été semées avec l’effondrement de l’union soviétique en 1991 qui a entraîné un afflux de juifs de l’ancienne union soviétique en Israël. Ils représentent maintenant plus d’un million de citoyens sur les huit millions deux cent mille citoyens que compte Israël, le troisième plus grand nombre de russophones à l’extérieur des anciens états soviétiques et le plus élevé par rapport à la population totale.
La Russie compte la plus grande communauté d’expatriés en Israël au monde, presque tous des russophones natifs. Le russe est maintenant la troisième langue la plus parlée en Israël après l’hébreu et l’arabe.
En tant que tel, il n’y a rien de surprenant à ce que des liens bilatéraux étroits se tissent. Cependant, dépeindre une plus grande implication de la Russie en Syrie comme un obstacle à la puissance et aux ambitions d’Israël relève au mieux de l’ignorance et, au pire de la tromperie pour le camp de Bachar al Assad.
« L’axe de la résistance » devient de plus en plus tributaire de la Russie, un pays dont les relations avec Israël ne cessent de se renforcer, une vérité qui dérange et sur laquelle l’alliance et ses partisans continuent à fermer les yeux.

Sharif Nashashibi est un journaliste et analyste qui collabore notamment avec Al-Arabiya News et Al-Jazeera English.

*Source : Middle East Eye

2 commentaires:

  1. Très bon article, la guerre en Syrie a certainement fait changer de priorité les leaders du fameux "triangle chiite", (dans le cas de la République Arabe Syrienne je nuancerais cela dans la mesure où en dehors des Assad la plupart des personnes d'influence du régime sont sunnites)en faisant par la force des choses des jihadistes soutenus par les pétromonarchies et la Turquie leur nouvel ennemi numéro 1, on peut raisonnablement penser que c'est ce qu'Israël voulait, une guerre chiite-sunnite pour que la région se disloque autour d'eux (ce qui est parfaitement symbolisé par la prise de distance du Hamas vis-à-vis du Hezbollah), et en cas de victoire d'Assad, que celle-ci ne puisse se faire qu'avec l'implication de la Russie afin que celle-ci persuade Assad de changer d'attitude à l'égard de l'entité sioniste après la guerre.

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    1. Pour la Syrie, je serais un tantinet moins nuancé que toi, dans le sens où, bien malheureusement, beaucoup de ses sunnites ne représentent qu'une vitrine, et crois moi je souhaiterais me tromper.

      Sinon l'intervention Russe servira, en cas de victoire d'Assad/Poutine, à un éventuel "rapprochement" d'Israël et de la République arabe Syrienne.(avec un Assad partant, et qui aura tiré son épingle du jeu de façon magistrale et machiavélique)


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